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mardi 11 juin 2013

Des coureurs de quoi ? De... de Trail ? Des malades oui !

  

     
    Il était une fois, à une époque incertaine, sous une arche, une centaine d'hommes, tous alignés et prêts à s’envoler. Dans un silence religieux, ils sont là, harnachés, têtes coiffées, à peine couverts. Mais qui sont-ils ? Où s’en vont-ils ainsi fagotés ? Au-dessus, la pluie menace, les nuages font légion, les montagnes se froncent. Il n’en faut pas plus pour attirer l’attention. La plèbe s’approche. Autant éclaircir les choses, ce soir, vous dormirez à poings fermés que la plupart ne seront pas encore rentrés ! C’est tout un massif, une montagne, voire même un pays qu’ils s’en vont traverser ! Un brouhaha s’élève. « Des idiots ! » s’exclament alors certains. « Des fous... » murmurent d’autres. « Mais quelle est donc cette nouvelle torture ? Est-ce donc là l’ersatz des galères et des travaux forcés ? Mais où sont donc alors passés les fouets ? » Interdite, curieuse, la foule s’abat sur eux. Les gens les scrutent, les épient, ils n’en croient pas leurs yeux...

L’incompréhension demeure. Elle règne d’ailleurs en maître. En d’autres temps, qualifiés de déments, ces bipèdes galopants n’auraient eu vocation qu’à attiser les flammes sur la place du vieux marché, à Rouen. Aujourd’hui, les jugements n’ont guère varié. Est-ce donc là encore leur avenir ? Non, de notre ère, génocidaire deviendraient ces bourreaux d’en arriver là. Oui, vous m’avez bien entendu, génocidaire... Car au milieu de cette foule hostile, discrètement, timidement, l’admiration et l’envie s’immiscent déjà dans l’esprit des cœurs vaillants. Non, ils ne sont pas seuls. Les anciens racontent qu’ils sont plus d’un, mais qu’ils se cachent, et que ce n’est que très tôt le matin, ou tard le soir qu’ils s’en iraient en direction des monts vallonnés. « Des gens bizarres, vraiment bizarres » qu’ils disent les gens normaux. Et pourtant, dans le plus grand secret, les kilomètres s’engrangent, les points se cumulent, les sentiers se dessinent, la rubalise pousse. L’histoire contée aux enfants dit même qu’ils formeraient des groupes, des armées, tous unis sous un même étendard coloré. Non, ils ne sont pas seuls. Malheureusement, même en ce millénaire, face à de telles étrangetés, les doigts pointés et les questions demeurent : « Mais pourquoi cette contagion ? Comment cela est-il possible ? Comment Dieu peut-on en arriver là ? Quels intérêts peut-il donc y avoir à courir pendant autant d’heures ? Que vont-ils donc chercher là-haut sur les crêtes ? Ces fous ne trouveront que la nature pour les chahuter, comme des pantins désarticulés... et ce sera bien fait ! »

Questionnés à la volée, il n’en ressort, rien... les lèvres de ces hommes bizarres restent scellées. Il n’y aurait « rien », là-bas. Certains avouent parfois l’existence d’un objet purement symbolique, une breloque sans intérêt. Mais qu’est-ce donc alors ?
Attrapé dans son élan, enfermé puis torturé, l’un d’entre eux aurait fini par parler :

— Le bonheur, a-t-il murmuré.

— Le... le bonheur ?

— Oui, le bonheur, a-t-il répété les yeux mouillés. Mais pas là-bas, de l’autre côté de la ligne d’arrivée, non ; ici, là, maintenant, alors que nous sommes sur le chemin qui nous mène à ces courses, à ces montagnes et à ces beautés. Au-delà, il ne nous reste tout au plus que des souvenirs, empreints d’humilité et ornés d’une once de fierté... Oui, c’est le bonheur que nous allons chercher, le vrai, celui de se découvrir, de se confronter et de se surpasser. De se sentir vivant l’espace d’un instant, fort et capable de soulever des montagnes, puis l’instant d’après, infiniment rien, petit et rempli d’humilité face à la nature et ses éléments. Puis, une fois là-haut, mis à nu, dépouillé, prêt à tout abandonner, apprécier un verre d’eau, une parole, quatre mots et se voir continuer.

— Mais... tout cela ne vous rapporte rien, vous ne gagnez pas d’argent... aucun bien !

— Si on parle d’un bien concret, de quelque chose à palper, alors effectivement, je n’en retire rien. C’est même de quelques kilos de trop emportés que j’en reviens délesté. Mais nous rapportons des souvenirs, des images, des moments d’amitiés, d’émotions, d’humilité. Ce sont des heures et des kilomètres partagés, des paysages, des sommets, des sensations exacerbées par l’adrénaline et l’afflux du sang qui cogne à nos tempes alors que le souffle se fait court et l’oxygène raréfié... Un bien concret, dites-vous ? Pour quoi faire ? Pour le perdre, se le faire voler ?... Alors que tout cela, rien ni personne ne pourra jamais nous l’enlever...

La légende raconte qu’ils l’auraient volontairement laissé s’échapper. Une fois dehors, à la lueur de la lune, il aurait gravi les crêtes, d’un pas rapide et léger. Puis, juché sur un rocher, débordant de liberté, certains racontent que c’est en Isard qu’il se serait transformé...

                                                                                                                               Gribouille 
                                                                                                                   Des Mots dans la Sueur

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