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vendredi 21 février 2014

Le chant des Montagnes

   

  Parce qu'ils ne font pas partie de ceux que l'on enferme. Parce que c'est à bout de souffle,les muscles tétanisés, qu'ils ont toujours gagné leur liberté. Parce qu'ensemble, au fil des ans, ils ont mutuellement enterré leurs bien-aimées. Parce qu'ils se l'étaient promis... Parce qu'ils ont toujours tout partagé, tout couru, tout grimpé, tout vécu, et tout pleuré. Parce que la vie ne les a jamais séparé. C'est pour toutes ces raisons qu'en pyjama, ce matin-là, les vieux amis se sont fait la belle. Le mur de la maison de retraite ils ont franchi, et comme deux enfants espiègles ils sont partis. Bruno, le vigile, les a bien vus se faire la courte échelle, mais il n'a rien dit. Il les connaît bien ces deux-là. Dans le village, alors qu'il était enfant, il les admirait. Personne ne pouvait les arrêter, et encore moins les rattraper. Il les voyait filait comme le vent. Émile et Jean faisaient partie de ceux capables de glisser et grimper sur les crêtes, du matin au soleil couchant. Non, ce matin-là, il n'a pas eu le courage de bouger. Les yeux brillants, il s'est souri tendrement. Il le savait. Un beau jour, Émile et Jean s'en iraient, et il ne pourrait rien faire pour les en empêcher. Car lui aussi le sait... À l'instar du chant des sirènes, le chant des montagnes vous entraine, le marin plonge au plus profond, tandis que le montagnard se laisse happer où l'oxygène se fait rare. Leurs regards ont croisé le sien, alors que clopinant, ils prenaient les sentiers des pénitents. Ce chemin, ils l'ont toujours aimé, car pour certains,il ne mène nulle part, mais pour eux, il mène simplement où il faut. Derrière la vitre, Bruno les a lentement salués d'un geste de la main, comme ont le ferai à l'orée d'un rêve dans lequel on ne saurait replonger.

   Émile et Jean voulaient le voir, le sentir, juste une dernière fois, ce soleil qui s'étire au-delà des cimes, celui qui pendant tant d'années avait réchauffé leurs visages émaciés. Ils voulaient le saluer et le sentir, juste une dernière fois, à présent sur leurs visages bien trop élimés. Comme dans le temps, ensemble, ils avaient gravi cet élément. Ils avaient réussi... Certes,pas comme avant, l'un derrière l'autre, mais l'un à côté de l'autre. Sans mot dire. Ils avaient une nouvelle fois donné tout ce qu'ils avaient et même plus,à bout de souffle, les muscles tétanisés. S'aidant l'un et l'autre, après chaque chute, pour se relever. Dans leurs, esprits, ils leur suffisaient de tenir, juste tenir le temps d'un aller...

   Là-haut, à bout de souffle et titubant, ils ont alors souri à ces sommets, comme des vieux amis remplis de respect. Lotis sur une dalle, les jambes dans le vide, ils se sont souvenus de ces instants où avec eux il savaient joué et de tous leurs pièges qu'ils avaient déjoués. Usés de toute une vie, le jeu était à présent terminé. Comme une offrande ils étaient venus se livrer.

  Leurs pyjamas en lambeaux flottaient au vent, tels des foulards de prières,lorsque le froid mordant les a repérés. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour les reconnaitre. Ils les connaissaient bien ces deux-là. Ils lui avaient tellement ri au nez. Mais c'est avec douceur et tendresse, tel qu'eux même l'avaient toujours traité, qu'il décida de se faufiler. Dans une symphonie,comme un murmure, un souffle dans l'air, il est venu se glisser, lentement au plus profond de leur chair. Tel un opéra, la nature déploya ses plus beaux aspects. Alors, hypnotisés, ils n'ont même pas tremblé, ni même lutté lorsque leurs paupières, lentement, comme un rideau se sont baissées.

   C'est là, au-dessus des nuages, qu'ils ont été retrouvés. L'un contre l'autre, satisfait, le sourire aux lèvres d'une vie comblée. Parce que c'était ainsi, aux chants des montagnes qu'ils avaient choisi d'abandonner leurs âmes. Parce qu'ils se l'étaient promis, mourir là-haut, plutôt que de survivre ici...

                                                                                                                               Gribouille 
                                                                                                                   Des Mots dans la Sueur

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