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mardi 11 mars 2014

L'abandon, ou la perdition...



  Un beau jour, alors qu'enfant, je m'en revenais de courir les monts vallonnés entourant le vieux chalet de mes aïeux, mon grand-père me demanda par quel diable je pouvais courir aussi prestement de telles montées et atteindre ainsi les collines sans jamais paraitre épuisé. Bien loin de moi l'idée de remettre en doute l'admiration qu'il me vouait, j'ai néanmoins conscience à présent que c'était mon égo d'enfant qu'il flattait. Un égo fier de lui montrer qu'à son instar au même âge, j'aimais ces montagnes avec autant d'avidité. J'avais envie de lui ressembler, de coller un jour aux récits de ses aventures qu'il aimait tant me conter. Enorgueilli, et d'une maladresse enfantine, je répondis qu'il était aisé pour moi de courir ainsi, que là-haut je me sentais SI LÉGER qu'à elle seule la tramontane pouvait me porter, et que je n'avais pas le temps d'être essoufflé tant il y avait de belles choses à contempler, que parfois même, je ne me rendais même pas compte que j'étais déjà arrivé, et que devant, il n'y avait plus rien à grimper. D'un geste de la main,tout en souriant, il calma mon entrain. Puis, lentement, il s'assit près de moi. Son front se plissa, puis il leva son index, et me dit « un jour, tu vas découvrir qu'il peut être plus difficile de redescendre de ces montagnes que de les gravir... ». Tel un clown mime, à mon tour j'ai plissé mon front et penché ma tête, pleine d'interrogations. De sa main charnue, creusée de sillons, il essuya mon front ruisselant de sueur. Puis, tout en écartant de sur mes yeux, les quelques mèches collées de mes cheveux, il me dit avec tendresse « ce sera un jour, où là-haut, il te faudra faire un choix, et ce jour-là,mon grand, tu comprendras... »

  Ce fut bien des années plus tard que je compris, lorsqu'à genoux, malmené par les éléments, j'ai hurlé contre le froid glacé et le vent. Tout autour de nous, des tridents de colère illuminaient et déchiraient le ciel aux rythmes des tambours de tonnerres. Résigné à rebrousser chemin, j'ai senti mes larmes glisser sur mes joues, et tomber en cristaux de sel dans mes mains posées sur mes genoux, qui imploraient vers le ciel. Nous n'étions pourtant qu'à deux doigts, deux cordées, seulement quelques pas de ce sommet dont nous avions tant rêvé. Ce fut une décision au gout amer, à la hauteur des sages paroles de mon grand-père.

  Aujourd'hui, je peux vous assurer que cette résignation ne fut, et ne sera pas la dernière. Néanmoins, depuis maintenant plus de vingt ans, tout comme mon grand-père avant moi, cela m'a permis de relever bon nombre de défis. Et si je suis encore là pour en parler, si mes jambes et mon esprit n'ont pas encore été brisés, c'est sans nul doute grâce à lui, cet homme que j'ai tant aimé, celui qui m'a tout appris, et à qui je ne peux m'empêcher de penser lorsque sur le fil du rasoir je m'apprête à basculer...

  Grâce à lui, j'ai appris à écouter ce murmure, celui des éléments, la voie de la nature, celle qui me susurre tendrement si Oui ou Non c'est le bon moment. Tout comme celle de mon corps qui me suggère ou Non de pousser encore, et cela souvent lorsque le son des maux commence à sonner faux. Quoi de plus beau que de franchir une ligne d'arrivée, si ce n'est de le faire en un seul morceau, d'avoir la chance d'en revenir, d'y revenir, et ainsi de pouvoir poursuivre bien au-delà, un jour, un mois et des années plus tard.

  L'abandon n'est pas une finalité, tout au plus une marche vers la ligne d'arrivée sur laquelle on va buter à un instant donné. Ce n'est qu'une fois assis sur cette marche qu'un choix difficile va s'imposer... car celui-ci devra se décider sans jamais avoir à faire du mental une carence de l'intelligence.

                                                                                                                               Gribouille 
                                                                                                                   Des Mots dans la Sueur

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