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lundi 23 juin 2014

L'aube du coureur



                                                                                       


  
    L'Aube du Coureur.

   Hier matin, la nature a levé les braves et lacé leurs souliers, pour une course à pied qu'ils ne sont pas prés d'oublier...
   À l'aube du jour d'après tu es là sur ce chemin, à seulement quelques supplices de l'arrivée. Tu aimerais tellement pouvoir te hisser, droit sur tes piliers, et marcher. Mais tu ne le peux pas... Tu n'y arrives plus, tu croules sous ton poids, tes pas ne sont plus. C'était pourtant ton désir de venir jusqu'ici. Ces chemins sont tellement somptueux. Ils te transportent à chacun de ces rêves où tu t'envoles à grandes enjambées comme si tu avais des bottes de sept lieux.

   Maintenant, tu es là, et ils défilent devant toi, tous ces coureurs claudiquant. Perclus, le pied à l'affut, le regard perdu, ils ne font même plus attention à la nature dans laquelle ils évoluent. Quel dommage. Toi, tu es là sur le côté, tu les envies... tu te meurtris. Dans ce dédale, le temps les égraine tel un Mâlâ au bois de Santal. Tu ne peux que les encourager à ne pas abdiquer; tout comme leurs amis, leurs femmes et leurs enfants qui sont ici. Chaque coureur est soutenu, applaudi par les siens. De leurs voix, de leurs mains, ils portent leurs pas, comme on pousse les tiens, à bout de bras, avec les mains.

   Tiens, celui-ci se meut avec difficulté. Son visage est marqué, ses traits sont tirés, le tourment a usurpé la prunelle de ses yeux. - Benoit - est inscrit sur son dossard. Le téléphone collé à l'oreille, Benoit dit souffrir, vouloir renoncer, il s'apitoie. Sourd et aveugle de douleur, il passe devant toi, et ne te remarque même pas, alors qu'il peut aller bien plus vite que toi... Tel un sprinter, tu aimerais jaillir de tes starts, te redresser, l'accompagner un instant, et lui dire cette chance qu'il a d'être ici. Qu'il fait des envieux... Lui rappeler que lui seul l'a choisi. Que la douleur fait partie du jeu, qu'elle lui signifie que son corps est en vie. Qu'il doit l'accepter, et faire avec elle, nom de dieu !!

Tu aimerais tellement... Mais tu ne le peux pas, tu ne le peux plus.

   En voilà encore un qui se plaint. - Alain - est inscrit sur son dossard. Malgré tes encouragements, Alain dit qu'il a trop mal, qu'il n'imaginait pas souffrir ainsi, que plus loin ne peut être atteint, qu'il arrête au prochain ravitaillement, et que pour lui c'est la fin, que la vie est ainsi.
Tu as du mal à comprendre, ça t'énerve un peu.

   Ton malheur à toi, il est au fond de ton ventre, il te brûle les tripes, te broie le cœur. Tu donnerais n'importe quoi, même un BRAS, pour ressentir ses douleurs. Nul ne les a forcés. Et pourtant, ils geignent et se plaignent de leurs jambes qui ne veulent plus les porter, qui ne répondent plus. Tu aimerais leur donner les tiennes, juste une seconde, un centième, pour qu'aux enfers ils puissent connaitre cet absolu.

   Soudain, tu te remets à bouger... Tu te retournes, c'est Damien, ton frère, qui te tire vers l'arrière. Ça bloque... il se penche, libère tes roues de leurs freins, et te fait pivoter. Ta femme est là aussi. Elle te sourit, te demande si ça va. La gorge nouée, tu lui dis « oui, c'était sympa d'être venu les voir passer... » Tes yeux se mouillent. Tu lui mens. Elle le sait. Tout comme elle sait le coureur que tu étais. Jusqu'au jour où ce camion que l'aube a ébloui t'a éteint comme le soleil souffle une bougie. Elle remonte la couverture sur tes genoux et t'embrasse tendrement pour cacher ses larmes qui viennent s'échouer sur tes joues. Elle te dit qu'il faut rentrer maintenant. Elle a raison, et puis de toute façon, tu ne sers à rien... Tu t'es menti en venant ici.

   Sur la route, le front collé à la vitre, les paysages défilent sur la psyché de tes yeux égarés. Alors que vous approchez de la ville et de cette ligne d'arrivée, tu aperçois des coureurs qui trottinant, clopin-clopant se préparent d'ici peu à la franchir, tel des conquérants.

   Soudain, tu n'en reviens pas... Ils sont là, l'un derrière l'autre, c'est Alain et Benoit. Penchés en avant, ils semblent crouler sous le poids de leurs âmes, pesantes et affligées des maux qu'ils leurs ont fait enduré. Mais qu'importe, ils sont là et avancent encore. Vos regards se percutent. Alain, les larmes aux yeux te sourit, gêné et honteux d'avoir douté. Tandis que Benoit, poings et mâchoires serrées, incline sa tête d'un geste respectueux.

   Un torrent de joie inonde ton regard. Tu es fier d'eux. Tu lèves alors ta main pour les saluer, puis tu la refermes en un poing victorieux. Ce sera, ne lâchez rien, qu'ils liront sur tes lèvres bouleversées, et qu'ils entendront résonner dans leur tête jusqu'à cette arche de fin.

                                                                                                                        Gribouille
                                                                                                             Des Mots dans la Sueur

 

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