Ce furent des braises qui
envahirent ma gorge, lorsque je fis mes premières foulées dans ces rues, dans
cette ville, dans ce pays, qui m'étaient inconnues. Sous les hallebardes du
soleil d'Allah, ma carcasse tout entière se consumait, et criait miséricorde. Les
senseurs aux aguets et le pied audacieux, je guettai cet instant où, galopant,
la magie se met soudainement à opérer. Les milles arômes dérobés au détour des
ruelles, les sourires, les mains tendues des enfants et leurs acclamations
furent cette étincelle. Ainsi, au bout de plusieurs kilomètres dans ce
labyrinthe d'étals, ce fut d'une foulée plus enjouée que je pénétrai dans les
Jardins de L'Agdal.
La fraicheur de l'endroit me percuta autant
que ses senteurs florales qui vinrent instamment divertir mon odorat. Devant moi
s'étendaient des centaines d'Oliviers, puis des Grenadiers, je crois, des Orangers,
des pavillons, des bassins, le tout quadrillé par de grandes allées
interminables et disciplinées. À petites foulées, j'avançai la tête en l'air (et
le mien était béat) dans une oasis en plein désert avec l'Atlas pour panorama.
Un paradis sur terre, nourri par les eaux de l'Ourika ; celles qui
descendent de tout là-haut.
Soudain, tandis que ce long ruban
invitait ma foulée à se délier, je sentis une main se poser doucement sur mon
épaule. C'était un petit homme, couleur d'ébène, au large sourire et à la mine drôle,
qui courait à côté de moi. Dans sa main, il tenait une petite gourde jaune. Je
crus un instant rêver. Ça ne pouvait être lui?... Pas là du moins, en train de
courir avec moi?... Tandis que d'un geste de la main, le visage rayonnant à pleines
dents, il m'invitait à le suivre, j'écartai cette absurdité de mon esprit ;
non, ça ne pouvait être lui...
Bercées par les ombrages, nos
foulées s'embrasèrent progressivement. Une poussière d'ocre s'éleva et fit un
tourbillon sur notre passage. Douze, quatorze, puis seize kilomètres-heure. Je
suspectai mon chrono d'être un tricheur. Dans le sillage de ce petit homme, je
ne percevais ni son souffle, ni le bruit de ses pas. Seuls, ses mouvements,
celui de ses épaules, de ses bras, de ses jambes et de ses pieds, qui semblaient
le faire avancer sans jamais toucher le sol.
Au loin, des cris de joie retentirent.
Des enfants sortaient d'un pavillon. Tel un essaim, ils se précipitèrent dans
notre direction. À notre rencontre, tentant de leurs petites jambes d'accrocher
le wagon, ils se mirent à acclamer d'une seule voix « HAILE ! HAILE !
HAILE ! ». Je ne rêvais donc pas, c'était bien lui ! Monsieur HAILE
GEBRESELASSIE ! Comment cela pouvait-il être possible ?! Moi, ici, en
train de courir aux côtés de cette légende vivante de la course à pied !...
Telle une mariée avec son
bouquet, HAILE lança sa petite gourde jaune au-dessus de son épaule. Dans une
merveilleuse mêlée, les enfants se ruèrent dessus, nous laissant poursuivre
notre envol.
Dix-huit, dix-neuf, vingt kilomètre-heure.
Deux mille, deux mille cent, deux mille trois cents mètres... Je ne le croyais
pas. Je cessai de regarder cette montre, et tous ces nombres qui me racontaient
n'importe quoi. J'étais derrière lui, dans ses pas, et mon corps semblait
suivre le sien comme une ombre. Soudain, des paillettes vinrent flouter ma
vision, un éclair, le noir... et plus rien.
Le soleil se dérobait à l'horizon
lorsque je me réveillai adossé sous les pétales d'un grand palmier. Ma tête et
ma nuque hurlaient ô scandale ! Une déshydratation, et une insolation
doublée d'hallucinations. Assis par terre, songeant à ce que j'avais cru vivre
l'espace d'un instant, je souris bêtement en me frottant le crâne. Quelle prétention !
Je pris le chemin du retour en
trottinant. J'étais quelque peu courbaturé, mon pied était lourd, mon corps
atone. Aux portes du jardin, je croisai cet enfant. Maladroitement, il tentait
d'imiter les foulées que peuvent faire les grands. Il me sourit de toutes ses
dents ; puis fièrement, tel un trophée, il brandit vers le ciel sa jolie
gourde jaune...
Gribouille
Des Mots dans la Sueur
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