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vendredi 16 mai 2014

Va faire le tour de la maison en courant, ça va te calmer !


                                                 


  S'est écriée un jour maman tandis que je chahutais un peu trop dans ses pieds. J'étais enfant, et « hyperactif », soi-disant. Ce jour-là, tel un javelot, je me suis planté net dans mon élan. Les sourcils fronçaient, soudainement dubitatif, je me suis interrogé : Le tour de la maison en courant pour me calmer...? En voilà une drôle d'idée ! En quoi faire le tour de la maison en courant pourrait-il me calmer ? Un demi-tour militaire, et me voilà donc parti d'un pas décidé sous le regard de ma mère, satisfait. Plus que perplexe devant tant de certitude, j'ai enfilé ma plus jolie paire de Bopy, et dans un courant d'air, me voilà sorti.

  Les poings sur les hanches, j'ai observé la maison depuis l'entrée du jardin. « Faire le tour de la maison pour me calmer, n'im-por-te-quoi... Comme si on avait un CHÂTEAU. » Ai-je bougonné.

  Un coup d’œil à droite et à gauche sur les angles, et me voilà lancé à grandes enjambés, les mains figées comme Jackie Chang, prêtes à casser une pile de pavés. J'évite de justesse un ballon, mon tricycle jeté dans l'allée, contourne, glisse, manque de me vautrer sur le gazon, me reprends, passe sous le portique, accélère, bifurque en faisant l'avion, et boucle le tour de cette FOUTUE maison dans un dérapage contre le paillasson.
À peine essouffler...

  Le sourire jusqu'aux oreilles, et les souliers pleins de terre, me voilà rentrant dans le salon pour narguer ma mère.
À peine trois secondes plus tard et une salve de jurons, me voilà ressorti avec un coup de pied dans le derrière et cette étrange question de ma mère « QUI C'EST QUI VA NETTOYER LE TAPIS DU SALON ?? »
Franchement...aucune idée ? Moi je n'avais retenu qu'une seule chose, avant les jurons, c'est qu'il me fallait en faire dix... des tours de maison. Détail que maman avait soi-disant omis de me préciser.... soit.

Dix tours, et je suis calmé... ah ouaih. C'est parti !

  La nuit venait d'éclipser le jour lorsque mon père est arrivé. C'est dans le halo des phares de sa Fuego que je lui est apparu. Mon pantalon était déchiré, mes coudes écorchés, et mon visage ressemblait plus à un champ de guerre, où sueur, terre et sang se mêlaient, qu'au visage d'un enfant de chœur bien sage. Tout ça c'était à cause de cette saloperie balançoire que j'avais pris en travers du nez au huitième tour, et de ce FOUTU tricycle, au dixième que personne n'avait daigné bouger. « Dix tours de maison ! » J'ai dit à mon père que j'avais fait, tout fier, en lui tendant mes dix doigts plein de terre. Il eut tout d'abord l'air surpris, puis il me renvoya mon sourire, admiratif. Ce soir-là, je ne me souviens pas avoir soupé, ni même m'être couché dans mon lit. Seulement, m'être assoupi dans les bras de maman, tandis que je lui expliquais que je pouvais encore en faire plein, des tours de maison, que c'était trop facile pour moi, et... qu'elle disait vraiment n'importe quoi... que c'était... loin de m'avoir... calm...

  La même année, ce fut chez mes grands-parents, à la montagne, que sous leurs yeux émerveillés je me suis mis à enchainer des tours de chalet. Je me souviens de ces odeurs et de l'altitude qui mettait en difficulté mon cœur. Mais surtout de ce plaisir que j'éprouvais pendant que j'étais allongé, les bras en croix, dégoulinant de sueur, en plein milieu du champ. Après des centaines de tours, et quelques années plus tard, ce fut un jour avec l'autorisation de mon grand-père que j'eus le droit de partir au-delà du portillon ; mais seulement jusqu'à ce rocher que l'on voyait depuis le balcon. Puis, ce fut jusqu'à l'autre, celui qui se trouvait quatre cents mètres au-dessus. Bien plus grand, je me devais de rester dans cette zone que l'on avait à portée des yeux depuis la fenêtre, un joli terrain de jeu, tant en hauteur qu'en largeur. Alors, quoi demander de mieux, si ce n'était que d'être rentré à vingt heures, pour le diner.

  Aujourd'hui, rien n’a vraiment changé, je cours toujours, j'enchaine des tours, je cours jusqu'à ce rocher, puis jusqu'à cet arbre, j'avance sans cesse, sans m'arrêter, car à présent ma seule limite est devenue cette ligne d'arrivée. Parfois, seul dans ma douleur, lorsque les kilomètres deviennent des heures, je souris et parle à ces arbres, à ces rochers, je leur raconte cette histoire et leur dit que ce n'est pas  de ma faute si je les ennuis aujourd'hui, que c'est à cause de ma mère que je suis ici... Puis, en m'affalant contre l'un de ces rochers, tendrement, je leur murmure « elle voulait me calmer... mais... ça n'a jamais vraiment fonctionné... » Avant de sombrer en un instant, dans les bras de Morphée.

                                                                                                                                     Gribouille
                                                                                                                           Des mots dans la Sueur

 

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