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vendredi 21 février 2014

L'ultra-Trail, ou l'antre des pensées Hémophiles

   Enfin, nous y voilà. Je suis paré. Enfin, je le pense. En les regardant, tous là, affuté comme des Laguioles encore emballés, je me mets à douter... Comparé aux miens, je trouve que certains ont de bien gros mollets, de sacrées guiboles... Peut-être un manque de musculation, d 'entrainement, d'ascension ou d'enchainement. De toute façon, les dés sont jetés. Et ce n'est pas là, maintenant, à deux minutes du départ que les choses vont changer.

Ça y est ! Le coup de sifflet est donné.
Hé là, OH ! Pas la peine de bousculer les gars, on a le temps d'arriver... Celui-là, dans deux kilomètres va se maudire, car bien trop emmitouflé sur le départ il ne devrait pas tarder à s'arrêter pour se dévêtir. Quant à lui, pauvre fou qui remonte le peloton à vive allure, bien trop en avance, je risque sans mal de le recroiser lorsque prit d'un coup de mou, il aura réalisé que bien loin se trouve encore sa délivrance. Pas de faux pas, rien ne sert de pousser les chevaux. De toute façon, ta place est jouée, tu le sais, c'est en restant régulier, que plus haut tu pourras encore relancer.

   Une spirale infinie dans les bois, que c'est beau ! Un balai de frontale. Arrête-toi, retourne-toi, prend une photo ! Après tout, tu es là pour ça... Laisse la montre aux autres, et garde pour toi le temps. En plus, tu te sens bien. Finalement, tous ces entrainements et ces heures à cavaler comme un dément n'auront pas été vains. 

   Que la montagne est dure. Le chemin le plus court vers le sommet, ça c'est sûr ! Boit un bon coup et allez, maintenant, il te faut relancer. Assez marché, si tu ne cours pas maintenant, tu ne courras jamais ! Un bout de plaine, on descend, un ravito et en avant. Rien de bien compliquer ! Allez, ça va aller... Et puis ce n'est pas le moment de flancher, tu n'es pas au bout de tes peines, la course ne fait que commencer... Il y a pourtant bien une petite douleur là, un frottement ici, mais en relativisant, rien de bien méchant.

  Mange, crie, bois, pose-toi où respire profondément, mais fais quelque chose là... Reprend-toi ! La pente est encore longue, et le chemin derrière lui, sans répit... Allez, serre les dents, tu es dans le creux, dans le rouge comme ont dit, mais tu sais que ça va passer, tu le sais... sois patient. « Une tranche de vie entière en une course » qu'il t'avait dit ce vieux monsieur, sur ton premier défi, avant de disparaître en deux-deux, clopin-clopant. Des hauts, pleins d'élans à savoir contrôler, mêlés de joie, de rires et de clartés, puis l'heure d'après, des bas, très bas, comme là, maintenant. Des bas sombres, las, lents, le souffle court, dans le flou, comme dans un tunnel, le pas lourd. Alors tient le coup, ça va passer... respire un grand coup.
Une descente comme j'en rêvais. Rien de tel pour se régaler. C'est gagné. J'en ai fait plus de la moitié ! Quelle belle course.Tout est réunis : une météo parfaite, ni trop froid, ni trop chaud, un parcours technique, de bons ravitos, un balisage parfait, des bénévoles souriant et des paysages magnifiques. Aucun regret de m'être levé !

Ça commence à être long. J'ai du mal à marcher. J'ai mal. Très mal. Les cuisses me brûlent. Je suis vidé. Faire cinquante kilomètres en montagne ce n'est quand même pas banal... Le ravitaillement n'est pas bien loin. Je pourrais peut-être m'y poser. Cinquante kilomètres sur quatre-vingts, c'est déjà pas mal. Je pourrai peut-être m'y arrêter...

  Non ! Chasse donc cette sale idée. C'est ton diable qui fait des cabrioles. Vire-le, enferme-le, empêche-le de danser sur ton épaule. Reprends-toi ! Pense à autre chose. 
Tes amis sont là, tous derrière toi. Ta femme, tes enfants. Tout le monde compte sur toi. Tu vas y arriver. De toute façon tu le savais que tu allais en chi... C'est bien pour cette raison que tu es là, surtout ne l'oublie pas. Alors, serre les dents... « Si la tête sourit, le corps sourit ! » Je ne sais pas qui l'a dit, mais vu mon état, rien ne coûte d'essayer. Un peu de musique, oui, c'est bien ça aussi. Vas-y branche ton MP3, et cesse de sourire bêtement, le corps n'a pas suivi...
Voilà, on y est, dernier ravitaillement. Essaye de sourire, de faire semblant....
  • Huit kilomètres, puis l'arrivée.
  • OK, merci...
  C'est reparti. Huit kilomètres, dont une montée, du plat en crête et une descente directe sur l'arrivée. À cette allure... une heure et demie, deux heures devraient suffire.
Je vais y arriver, j'y suis... Tout ce qui est fait n'est plus à faire. Tu n'as jamais été aussi prés de la ligne d'arrivée. Tes panards ne doivent pas être très jolis, tu marches comme un canard plein de plombs, mais tu vas y arriver... le but, c'est d'y arriver. Qu'importent le temps, la manière et la présentation... 

  Une heure de plus à crapahuter, ça c'est fait, je ne dois pas être bien loin de l'arrivée. Tiens, un point de contrôle. C'est étrange.

  • Félicitation les gars ! Plus que 6 Kilomètres.
  • (...)  
  Respire, reste zen, non tu ne vas pas l'étrangler... Ils n'y sont pour rien. Tu le sais, c'est toujours la même rengaine. Ils distribuent les kilomètres sans y penser. Et puis, s'ils n'étaient pas là, toi non plus tu n'y serais pas. Alors avance, et tais-toi. En même temps, là, ne pas y être, ne me dérangerait pas...

  Ce chemin est interminable. C'est quand que l'on descend. Je ne rêve pas, c'est bien le micro que l'on entend... Un peu de patience, juste un peu encore et se sera terminé. Bientôt, tu seras assis à la terrasse du café et tu savoureras un bon demi. Tu les regarderas en terminer, les pauvres qui comme toi, auront rêvé de cette ligne d'arrivée.

   J'y suis... J'y suis. Ils sont tous là... J'ai envie de pleurer. Je cours, sans même y penser. Ma femme, mes enfants, mes amis, puis plein de gens en train de m'acclamer. Je ne les connais pas pourtant... Mais, j'y suis et maintenant c'est tout ce qui compte... l'instant présent. La douleur s'est envolée. Le corps sourit, la tête sourit, mes yeux sont floutés. J'entends mon nom dans les haut-parleurs, alors que je ne suis pas vraiment un grand coureur, mais c'est ainsi... Redresse-toi, sois fier, maintenant, ici, juste un peu, tu as le droit... Tu l'as mérité !

  • Tu peux être fier de toi mon amour ! Ça a été ?
  • Oui, super, juste un petit peu mal aux pieds.

                                                                                                                       Gribouille 
                                                                                                        Des Mots dans la Sueur
    

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