Enfin, nous y voilà. Je suis paré. Enfin, je le pense. En les
regardant, tous là, affuté comme des Laguioles encore emballés, je me
mets à douter... Comparé aux miens, je trouve que certains ont de bien
gros mollets, de sacrées guiboles... Peut-être un manque de musculation,
d 'entrainement, d'ascension ou d'enchainement. De toute façon, les dés
sont jetés. Et ce n'est pas là, maintenant, à deux minutes du départ
que les choses vont changer.
Ça y est ! Le coup de sifflet est donné.
Hé
là, OH ! Pas la peine de bousculer les gars, on a le temps d'arriver...
Celui-là, dans deux kilomètres va se maudire, car bien trop emmitouflé
sur le départ il ne devrait pas tarder à s'arrêter pour se dévêtir.
Quant à lui, pauvre fou qui remonte le peloton à vive allure, bien trop
en avance, je risque sans mal de le recroiser lorsque prit d'un coup de
mou, il aura réalisé que bien loin se trouve encore sa délivrance. Pas
de faux pas, rien ne sert de pousser les chevaux. De toute façon, ta
place est jouée, tu le sais, c'est en restant régulier, que plus haut tu
pourras encore relancer.
Une spirale
infinie dans les bois, que c'est beau ! Un balai de frontale.
Arrête-toi, retourne-toi, prend une photo ! Après tout, tu es là pour
ça... Laisse la montre aux autres, et garde pour toi le temps. En plus,
tu te sens bien. Finalement, tous ces entrainements et ces heures à
cavaler comme un dément n'auront pas été vains.
Que la
montagne est dure. Le chemin le plus court vers le sommet, ça c'est sûr !
Boit un bon coup et allez, maintenant, il te faut relancer. Assez
marché, si tu ne cours pas maintenant, tu ne courras jamais ! Un bout de
plaine, on descend, un ravito et en avant. Rien de bien compliquer !
Allez, ça va aller... Et puis ce n'est pas le moment de flancher, tu
n'es pas au bout de tes peines, la course ne fait que commencer... Il y a
pourtant bien une petite douleur là, un frottement ici, mais en
relativisant, rien de bien méchant.
Mange, crie,
bois, pose-toi où respire profondément, mais fais quelque chose là...
Reprend-toi ! La pente est encore longue, et le chemin derrière lui,
sans répit... Allez, serre les dents, tu es dans le creux, dans le rouge
comme ont dit, mais tu sais que ça va passer, tu le sais... sois
patient. « Une tranche de vie entière en une course » qu'il t'avait dit
ce vieux monsieur, sur ton premier défi, avant de disparaître en
deux-deux, clopin-clopant. Des hauts, pleins d'élans à savoir contrôler,
mêlés de joie, de rires et de clartés, puis l'heure d'après, des bas,
très bas, comme là, maintenant. Des bas sombres, las, lents, le souffle
court, dans le flou, comme dans un tunnel, le pas lourd. Alors tient le
coup, ça va passer... respire un grand coup.
Une
descente comme j'en rêvais. Rien de tel pour se régaler. C'est gagné.
J'en ai fait plus de la moitié ! Quelle belle course.Tout est réunis :
une météo parfaite, ni trop froid, ni trop chaud, un parcours technique,
de bons ravitos, un balisage parfait, des bénévoles souriant et des
paysages magnifiques. Aucun regret de m'être levé !
Ça
commence à être long. J'ai du mal à marcher. J'ai mal. Très mal. Les
cuisses me brûlent. Je suis vidé. Faire cinquante kilomètres en montagne
ce n'est quand même pas banal... Le ravitaillement n'est pas bien loin.
Je pourrais peut-être m'y poser. Cinquante kilomètres sur
quatre-vingts, c'est déjà pas mal. Je pourrai peut-être m'y arrêter...
Non ! Chasse
donc cette sale idée. C'est ton diable qui fait des cabrioles. Vire-le,
enferme-le, empêche-le de danser sur ton épaule. Reprends-toi ! Pense à
autre chose.
Tes amis sont là, tous derrière toi. Ta
femme, tes enfants. Tout le monde compte sur toi. Tu vas y arriver. De
toute façon tu le savais que tu allais en chi... C'est bien pour cette
raison que tu es là, surtout ne l'oublie pas. Alors, serre les dents... «
Si la tête sourit, le corps sourit ! » Je ne sais pas qui l'a dit, mais
vu mon état, rien ne coûte d'essayer. Un peu de musique, oui, c'est
bien ça aussi. Vas-y branche ton MP3, et cesse de sourire bêtement, le
corps n'a pas suivi...
Voilà, on y est, dernier ravitaillement. Essaye de sourire, de faire semblant....
- Huit kilomètres, puis l'arrivée.
- OK, merci...
C'est
reparti. Huit kilomètres, dont une montée, du plat en crête et une
descente directe sur l'arrivée. À cette allure... une heure et demie,
deux heures devraient suffire.
Je vais y arriver, j'y
suis... Tout ce qui est fait n'est plus à faire. Tu n'as jamais été
aussi prés de la ligne d'arrivée. Tes panards ne doivent pas être très
jolis, tu marches comme un canard plein de plombs, mais tu vas y
arriver... le but, c'est d'y arriver. Qu'importent le temps, la manière
et la présentation...
Une heure de plus
à crapahuter, ça c'est fait, je ne dois pas être bien loin de
l'arrivée. Tiens, un point de contrôle. C'est étrange.
- Félicitation les gars ! Plus que 6 Kilomètres.
- (...)
Respire,
reste zen, non tu ne vas pas l'étrangler... Ils n'y sont pour rien. Tu
le sais, c'est toujours la même rengaine. Ils distribuent les kilomètres
sans y penser. Et puis, s'ils n'étaient pas là, toi non plus tu n'y
serais pas. Alors avance, et tais-toi. En même temps, là, ne pas y être,
ne me dérangerait pas...
Ce chemin est
interminable. C'est quand que l'on descend. Je ne rêve pas, c'est bien
le micro que l'on entend... Un peu de patience, juste un peu encore et
se sera terminé. Bientôt, tu seras assis à la terrasse du café et tu
savoureras un bon demi. Tu les regarderas en terminer, les pauvres qui
comme toi, auront rêvé de cette ligne d'arrivée.
J'y suis... J'y suis. Ils sont tous là... J'ai envie de pleurer. Je
cours, sans même y penser. Ma femme, mes enfants, mes amis, puis plein
de gens en train de m'acclamer. Je ne les connais pas pourtant... Mais,
j'y suis et maintenant c'est tout ce qui compte... l'instant présent. La
douleur s'est envolée. Le corps sourit, la tête sourit, mes yeux sont
floutés. J'entends mon nom dans les haut-parleurs, alors que je ne suis
pas vraiment un grand coureur, mais c'est ainsi... Redresse-toi, sois
fier, maintenant, ici, juste un peu, tu as le droit... Tu l'as mérité !
- Tu peux être fier de toi mon amour ! Ça a été ?
- Oui, super, juste un petit peu mal aux pieds.
Gribouille
Des Mots dans la Sueur
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